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ment déjà atteint la rive du lac, vis-à-vis de l’île que vous voyez là-bas.

— Quiconque fuit une odieuse captivité, accepte avec reconnaissance tout moyen d’évasion, dit-elle, d’un ton agité. Si, cependant, ma présence augmentait trop vos périls…

— Assez, assez ; vous ferez mieux de ne pas finir votre phrase, dit le guide, J’ai, moi-même, une fille qui a besoin, à ce moment, de l’aide que nous vous donnons de bon cœur. Dieu lui permette de l’avoir ! Asseyez-vous ici, près de moi, et prenez courage. Vous êtes si jeune, si intéressante et vous me la rappelez tant que je vous plains ; oui, sur mon âme, quoique je ne sache pas qui vous a amenée ici et ce qui vous est advenu. Mais il est facile de comprendre que vous êtes une victime de l’adversité, sans quoi vous ne rôderiez pas seule, les vêtements en lambeaux, les mains écorchées, et tremblante comme une brebis égarée. Vos pieds délicats ne sont pas habitués à fouler les rudes sentiers de ce pays, ça se voit, mademoiselle !

— Cette manière de marcher est trop lente, s’écria tout à coup Tom déposant sa rame. Notre embarcation est trop pesante ; un bateau chargé de boue irait plus vite. Vous n’aurez pas longtemps les pieds à sec, la fille ; plus la machine restera à l’eau, plus elle enfoncera.

— C’est vrai, Tom Slocomb ; et c’est la première parole de vérité qui vous échappe, répondit Vander. Ce misérable radeau n’est pas suffisant pour nous supporter tous, et quant à avancer c’est presque impossible avec lui.

— Je vais vous dire ce qu’il faut faire sans parler beaucoup, ni perdre beaucoup de temps, reprit le Corbeau. Revenez au rivage, doublez la grosseur du radeau, et attachez dessus des buissons pour servir de voiles. Avec le vent qu’il fait nous irons aborder où il nous plaira. Pendant que vous préparerez la chose, je gagnerai l’île à la nage, y prendrai les chevaux, et ferai le tour par terre, quoique ce soit plus long qu’en coupant à travers le lac et que j’ignore en quelle sorte de compagnie, je puis tomber.

— Cet avis est bon, le meilleur qu’on puisse adopter en de telles circonstances, et je vois avec plaisir, Slocomb, que, quand ça presse, vous savez vous rendre aussi utile qu’un autre, bien que, en général, vous ne paraissiez pas valoir grand’chose, répondit Saül.