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que comique, le nez anguleux et proéminent, le front d’une largeur suffisante, une chevelure et une barbe d’un rouge flamboyant. Le costume de ce personnage était enduit d’une respectable couche de poussière et de graisse. Si bas que pût être placé notre homme en matière de richesses temporelles, son visage affirmait éloquemment qu’il était et voulait être heureux, sans se soucier des circonstances extérieures, et en dépit de la pauvreté et des périls. Il y avait chez Nick Whiffles une bonne dose de philosophie et d’excentricité. Que le vent fît rage ou non ; que la fortune fût bonne ou mauvaise, il était content et n’aurait pas changé son sort pour tout au monde.

Son compagnon était beaucoup plus jeune et d’une physionomie différente. Les yeux perçants de Sylveen Vander reconnurent de suite qu’il était plus enclin aux raffinements du cabinet de toilette que l’honnête Nick. Elle fut aussitôt convaincue qu’il n’appartenait pas au commun des aventuriers. La modestie l’empêcha de l’observer bien particulièrement, mais sa bonne mine et l’élégance de sa taille n’échappèrent pas à la jeune fille.

En approchant, Kenneth Iverson arrêta sa vue sur Sylveen, avec un sentiment de curiosité fort naturel à l’âge qu’il avait. Mais quand il n’en fut plus éloigné que de quelques pas, la curiosité fit place à une autre émotion, l’admiration. Il s’imagina n’avoir jamais vu une beauté aussi exquise. Son aspect fut une compensation de tout ce qu’il avait osé et souffert dans les dangereuses régions du Nord-ouest. D’où venait cette délicate créature ? Comment ce lis avait-il fleuri dans ces sauvages solitudes ? Kenneth ressentit l’enthousiasme d’un artiste, mêlé à l’adoration d’un amant. Il était prêt à révérer la nature dans cette jeune fille, sa plus suave incarnation. Fixe et immobile sur sa selle, il examinait Sylveen au point de la faire rougir et de la contrarier par son opiniâtreté. Nick Whiffles le présenta à sa manière.

— Comment ça va, Saül Vander ? Un beau temps n’est-ce pas ! Bonjour, petite, et il s’inclina devant Sylveen. Permettez-moi de vous présenter un jeune gars qui sait tout ce qu’il comprend et ignore tout ce qu’il ne sait pas. Il s’appelle Kenneth Iverson. Vous le connaîtrez mieux quand vous aurez fait connaissance avec lui. Je suis en termes très-intimes avec lui ; car une fois, c’était ma foi l’hiver dernier, je lui ai donné le meilleur fouet qu’il ait jamais eu dans sa vie ; oui bien, je le jure, votre serviteur !