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avaient campé, et que j’eus la chance d’apercevoir leur feu, dès qu’il fut allumé.

— Combien pensez-vous qu’ils étaient ? s’informa le guide.

— Un cent, dirai-je bien, je n’en ai compté que quatre-vingt-dix, mais il y en avait une autre troupe que je ne pouvais voir. Aussi, voyant qu’il y en avait tant que je ne pouvais les tuer tous, je tournai mon attention sur les animaux, et parvins, comme je vous l’ai dit, à en enlever une quarantaine environ.

— Ce fut là un beau coup ; mais qu’en avez-vous fait ?

— Oh ! j’en emmenai quelques-uns ici, pour empêcher les Peaux-rouges de les retrouver, répliqua le Corbeau, caressant complaisamment le côté barbu de son visage. Si vous avez de bon yeux, vous pouvez en voir une paire à travers les broussailles.

Kenneth regarda dans la direction indiquée et aperçut le cheval de Nick Whiffles et le sien ! Il connaissait enfin le voleur nocturne qui lui avait causé tant d’ennui. Le jeune homme ne fut pas maître de sa stupéfaction, mais il ne savait ce qu’il devait admirer le plus de la froide assurance de Tom Slocomb ou de sa facilité à altérer la vérité.

— Où avez-vous rencontré ce formidable camp indien que vous avez si bien dépouillé ? dit-il avec mépris.

— De l’autre côté de l’île, répondit Tom, sans perdre la moindre partie de son sang-froid

— Cela n’est pas douteux. Votre superbe récit est, je le vois, fort redevable aux embellissements d’une imagination féconde. Vos cent Indiens se réduisent à deux trappeurs égarés ; et vos quarante chevaux sont représenté par deux bêtes surmenées. Vous êtes un corbeau qui ne croasse pas toujours la vérité.

Une expression de stupeur véritable se peignit sur les traits de Tom Slocomb, qui s’écria d’un ton moitié mystifié, moitié chagrin:

— Montagnes Rocheuses ! qui aurait cru ça ? Je veux être scalpé si je ne croyais pas avoir fait tout ce que je voua ai raconté. Il y a là dedans un mystère que je ne puis expliquer. Cela vient peut-être de ma double nature. S’il y avait au monde quelqu’un, composé comme je le suis, mélange de deux races, je veux être foudroyé si tout ce qui trotterait dans sa tête n’était pas confus, tourné à l’envers.

— Je m’en aperçois, répliqua vertement Kenneth.