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— Parle toujours, Bouton-de-rose ; j’aime à t’entendre ; ta voix résonne comme des clochettes d’argent aux oreilles du vieux Saül.

— Mon père, vous l’entendrez chaque jour de l’année, ou je ne suis pas sorcière, dit Sylveen en caressant, de ses blanches mains, le visage tanné du guide.

— Tu es bien la plus grande sorcière que je sache, dit orgueilleusement Saül.

— J’ai sérieusement songé à cette affaire, mon père, répondit la jeune fille, et me suis décidée à vous accompagner dans la prochaine campagne. Il est vrai que je suis jeune et peu accoutumée aux privations ; mais, ajouta-t-elle chaleureusement, je puis m’y habituer, je le sais.

— C’est l’école qu’il te faut, ma pauvre enfant. Tu serais brisée après la première journée de marche avec la brigade.

— Non, répliqua-t-elle, en faisant un signe de tête déterminé.

— Réfléchis un peu aux dangers de la vie du trappeur, ma chérie, objecta le guide qui la contemplait passionnément.

— C’est ce à quoi je pense nuit et jour, mon excellent père, fit-elle d’un ton plein de douceur. Quand vous êtes parti je me dis : À présent mon père traverse de sombres délités, ou il tend ses pièges près des dangereuses retraites des Pieds-noirs. Peut-être à ce moment est-il blessé et n’a personne pour le soigner… Ah ! ces idées m’empêchent bien souvent de dormir.

— Bouton-de-rose, je crois que tu m’aimes bien, dit Saül vivement ému.

— Sans doute, Saül Vander, je vous aime, répliqua-t-elle en faisant jouer ses doigts sur ses dents comme sur les louches d’un piano.

Puis elle croisa les bras sur son sein et ajouta avec fermeté :

— J’irai avec la brigade.

Ensuite Sylveen porta ses regards vers un groupe de tentes dont les cônes blanchâtres se montraient en aval de la rivière. Elle remarqua tout à coup deux individus qui s’avançaient à cheval. L’un montait un grand bai brun et l’autre un polit animal aux poils longs et hérissés. Un chien, a l’aspect misanthropique et aux proportions gigantesques, les suivait. Le plus vieux des deux cavaliers, celui qui avait enfourché le petit cheval, était d’une stature un peu au-dessus de la moyenne, Il avait le corps assez mince, mais musculeux, les pommelles des joues saillantes, les yeux éveillés, une bouche pres-