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orgueil et dissiperait comme une fumée ses principes puritains. La douleur, dit-il, est une magicienne. Elle apprivoise les femmes aussi bien que les bêtes. C’est la grande sorcière dont ta verge impitoyable dompte toutes les choses animées.

Conformément à l’esprit de cette philosophie, Sylveen fut plongée dans un cachot humide, creusé dans le roc, et privée de toutes les jouissances mises à sa disposition lors de son arrivée à la caverne. Dans cette cellule, manquant de la lumière du ciel, de la chaleur du soleil, d’une nourriture saine, elle commença une existence misérable au dernier point. Elle ressentit un désir indicible de voir le jour, et ce désir ne fit que précéder celui de s’évader.

Pour y arriver, Sylveen essaya de s’attacher les sympathies d’Hagar ; mais la négresse avait si peur d’encourir le déplaisir de Morrow, que notre prisonnière en fut à peu près pour ses frais d’ouvertures. Lorsqu’elle eut souffert de la solitude et de l’obscurité pendant un espace qui lui sembla bien long, car la succession du jour et de la nuit ne se manifestait pas dans cette tombe souterraine, le désespoir la saisit. Elle s’était attachée à l’idée que son père ou quelques-uns des trappeurs feraient un fructueux effort pour la retrouver. Dans son isolement, elle songea à Kenneth Iverson. Elle se rappela son intrépidité, la nuit de la bataille ; elle le vit encore renversant les ennemis à ses pieds. Elle recueillit tous les souvenirs qu’elle avait de ce moment fatal. Kenneth n’était-il pas tombé d’épuisement, de blessures sur le sol ? Ne lui semblait-il pas avoir été témoin de la chute du brave jeune homme ? Ses impressions étaient vagues et incertaines. Il était cependant d’un bien grand intérêt pour la pauvre Sylveen ; car, si Kenneth vivait encore, il tenterait tout au monde pour la délivrer. Elle en avait la certitude.

Comme la pauvre fille réfléchissait ainsi, la voix d’Hagar frappa ses oreilles. La négresse parlait d’une manière incohérente et d’un ton suppliant.

— Ô Seigneur ! moi morte ! moi le savoir ! Ô massa Indien, vous laisser moi vivre encore cette nuit, et Dieu bénir vous !

À cet émouvant appel, quelqu’un répliqua :

— Silence ! ne fais pas de bruit. Indien pas tuer toi. Montre le chemin et pas un mot.

Ces paroles, articulées d’un accent impérieux, augmentèrent les