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Le visage de Mark s’illumina d’une vive rougeur et il se retourna en mâchant un blasphème entre ses dents. Puis, traversant la salle, il parla à l’un de ses hommes. Peu après, le père Louis vit cet homme se poster dans le passage conduisant à l’appartement où ils se trouvaient. Ensuite, Hagar servit, sur la table de bois brut qui embrassait les deux tiers de la pièce, un repas plus copieux que délicat.

— Vos convertis s’assoient-ils à table comme les gens civilisés, ou préfèrent-ils s’accroupir à terre ? demanda Mark.

— Ils se sont montrés si disposés à adopter les coutumes de l’homme blanc, et les ont si bien apprises qu’ils se conformeront, sans violence, à l’étiquette. Vous aurez bientôt la preuve qu’ils peuvent s’asseoir à table avec assez de bonne grâce et savent manier la fourchette et le couteau avec rapidité, sinon avec élégance répliqua le prêtre.

— Ne m’avez-vous pas dit le nom de cette fille ?

— C’est Nay-wa-da-ha, ou la vierge aux yeux sauvages. Il se passera longtemps, je le crains, avant qu’elle soit entièrement imbue des doctrines de la vraie église.

— Je le crois sans peine, à en juger par sa mine. Mais à table ! Hagar nous a donné ce qu’elle avait. Faisons honneur à ses plats. Wa-wa-be-zo-win, assieds-toi là-bas ! Nay-wa-da-ha, la belle aux yeux noirs, mets-toi à côté de moi, et tâche, si c’est possible, d’être plus aimable. La vivacité farouche de tes prunelles fait injure à la suavité de ton visage.

Bande-l’Arc et sa fille obéirent avec moins de grossièreté qu’on aurait pu en attendre. Mark remarqua que les yeux de Wa-wa-be-zo-win caressaient fréquemment une grosse bouteille placée sur la table.

— Quoi ! s’écria-t-il, le palais de votre converti désire encore de l’eau de feu ? Je crains fort que l’œuvre de la grâce ait été inefficace sur lui.

— Mauvais rhume ! répondit Bande-l’Arc. Lui est là, fit il, en posant la main sur sa poitrine. Eau de feu échauffe et guérit les maux. Eau de feu, grande médecine !

— Bande-l’Arc, dit sévèrement le missionnaire, tes goûts sont dépravés. Je te recommande d’être en garde contre les tentations de la chair. Bois souvent, mais modérément, suivant l’exemple que je