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a deux nuits, nos chevaux nous ont été volés par des maraudeurs, circonstance qui nous force de continuer notre route à pied.

— Pardonnez-moi, mon bon père, mais où sont ce Crik converti et sa fille ? fit Mark Morrow, tournant les yeux autour de lui.

— Si vous voulez vous donner la peine de me suivre un instant, je vous montrerai le Crik et sa fille, laquelle, vu la race d’où elle sort, est une bien gracieuse femme.

Morrow et Chris grimpèrent avec le prêtre un étroit sentier qui serpentait jusqu’en haut d’une falaise. Parvenus au sommet, ils aperçurent deux personnages assis à terre, près d’un feu. À l’approche du trio, ces personnages se levèrent. Le Crick converti était un Indien long, osseux, à l’air grimaud.

— Il a furieusement la frimousse sauvage, marmotta Chris. J’aurais peur qu’il se levât pendant la nuit pour me manger si je voyageais avec lui. Il ne peut rien y avoir de bon dans une pareille créature.

— Il a l’organisation et l’extérieur que lui a donnés le Créateur, dit le prêtre.

— S’il en est ainsi, repartit Carrier, on ne saurait dire que le Créateur a beaucoup fait pour s’attirer sa reconnaissance. Parle-t-il anglais ?

— Il comprend un peu notre langue, mais la parle très-imparfaitement.

— La fille, dit Morrow, ne ressemble guère au père. Elle est bien jolie, pour une squaw[1]. Je ne crois pas avoir vu un minois sauvage aussi gentil.

L’Indienne glissa furtivement ses yeux noirs sur Mark, qui demanda :

— Est-elle aussi convertie ? Il me semble qu’il lui reste quelque chose de sa sauvagerie naturelle ? Ne remarquez-vous pas, mon père, l’éclat particulier de son regard ? La mignonne lance des flammes plus dévorantes que celles de l’enfer. Ne trouvez-vous pas ?

— Malgré l’œuvre de la grâce, qui l’a touchée, elle est encore un peu farouche, répondit le missionnaire avec componction. Et ce chef lui-même a déjà contracté quelques-unes de nos habitudes, dont il ne se départira jamais, vous pouvez m’en croire. Il s’est opéré en

  1. Terme usuel pour désigner une femme indienne.