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— Puis-je croasser, maintenant ? s’enquit Tom Slocomb, quand ils furent à une cinquantaine de mètres du camp indien.

— En vérité, garde-t’en bien, répliqua Abram ; si tu donnes l’alarme aux gentils, ils te poursuivront à cheval, ne le sais-tu pas ?

— C’est fâcheux, reprit mélancoliquement Slocomb. Je ne puis me retenir plus longtemps, je vous le dis.

— N’allez pas nous jeter dans une diablesse de difficulté avec votre langue, fit Nick d’un ton bourru. Quand nous serons hors de la portée de ces vermines, vous pourrez hurler tout à votre aise, comme un maudit Indien, si vous voulez. Jusque-là, motus !

— Mais, monsieur, dit Slocomb à Hammet, pourquoi vous fatiguer à charrier ce bagage inutile ? Finissez-en plutôt sur-le-champ avec ce petit reptile. Il est plus aisé de le faire à présent que quand il aura grandi.

— Je ne crois pas à la violence, répondit le quaker, resserrant son étreinte sur les chairs palpitantes de Le Loup. Le métier de tueur n’est pas le mien.

— Donnez-le moi et je lui servirai sa dernière maladie. Vous avez le cœur trop tendre, étranger ; c’est une faiblesse que je suis fâché de remarquer dans un être aussi fort et aussi solidement membré. Où est votre arme ?

— Ce garçon doit vivre, répondit tranquillement Abram.

Déposant Le Loup à terre et s’adressant à lui :

— N’aie pas peur, jeune païen ; je te préserverai du péril ; mais il faut aussi que je t’empêche de nous nuire. Marche à mon côté : ne cherche pas à t’échapper et tout ira bien. Pour toi, qui t’appelles le Corbeau, ne fais pas de mal à ce garçon, je te l’enjoins.

— Loup, dit Nick, si tu veux garder ta peau, file droit. Et si tu t’avises de faire le méchant, je prendrai soin de ta correction.

— En vérité, je t’engage à l’obéissance, ajouta Abram en allongeant la main vers la gorge du jeune homme encore rougie par l’empreinte de ses doigts.

Le Loup recula, tira son couteau. Ses noires prunelles étincelèrent comme des rubis, ses muscles frémirent de ressentiment, et ses traits contractés annoncèrent une détermination incroyable pour son âge. Le quaker le contempla avec un mélange d’étonnement et d’admiration.

— Enfant, dit-il, ton bras est faible ; mais ton esprit est fort.