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s’avança vers Kenneth, avec l’air fier et rechigné qui lui était habituel. Celui-ci feignit de ne pas le remarquer. Le Loup se tint, un moment droit et silencieux devant lui ; puis, se baissant et tirant le coutelas que Mark lui avait donné, et avec lequel il avait déjà failli tuer Kenneth, il trancha les liens qui obligeaient le jeune homme à l’immobilité. Il eut si vite fait qu’Iverson ne put d’abord exprimer son étonnement.

— Vous m’avez sauvé la vie, vous êtes un brave, dit Le Loup. Je m’acquitte ! Vous ne mourrez pas ; vous vous sauverez dans les ténèbres. Le feu du Pied-noir ne vous brûlera pas ; son fer ne vous blessera pas.

— Le Loup n’est donc pas tout à fait loup. Il se rappelle la main qui l’a épargné ! repartit Kenneth.

— Il n’a jamais oublié un ami, ni pardonné à un ennemi. Brave visage pâle levez-vous et suivez-moi, répondit Le Loup.

— Et mes compagnons ? demanda anxieusement Kenneth.

— Qu’ils meurent ! répliqua-t-il durement. Ils m’ont méprisé quand j’étais avec eux ; ils détestent ma race.

Kenneth s’était levé. Le Loup lui avait mis une couverte sur les épaules ; cependant Iverson hésitait. Déserter ainsi des compagnons répugnait à ses sentiments. Il jeta un regard rapide sur l’Indien et se dit qu’il serait bien facile de l’étrangler et de délivrer ses trois camarades. La tentation était forte ; il y aurait peut-être succombé. Mais Le Loup, qui semblait deviner ses pensées, s’était prudemment éloigné.

— Homme blanc, dit-il, choisissez entre la vie et la mort. Si vous désirez la vie, votre chemin est là-bas ; si vous préférez la mort, vous n’avez qu’à rester un moment de plus.

Le jeune Indien était calme, hautain et majestueux dans sa sauvage beauté.

— Délivre-les, je t’en conjure, et fais avec nous, dit chaleureusement Kenneth. Je me chargerai de ta fortune ; je serai pour toi un frère aîné. Tu jouiras des bienfaits de la civilisation.

Le Loup répondit après un moment, les traits rayonnant d’enthousiasme :

— Le chemin de l’homme rouge et celui du blanc sont différents. Le Grand Esprit a voulu qu’ils se haïssent l’un l’autre. Le Loup et