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IV

» Nous passerons cinq hivers à chasser, en pleurant nos braves morts en combattant, jusqu’à ce que nos fils, devenus hommes, puissent prendre le sentier de la guerre et danser à leur tour la danse de la scalpe, après avoir glorieusement vaincu comme leurs pères.

V

» Vous êtes morts, nobles guerriers ; vous êtes partis, compagnons, frères, amis ! Vous marchez sur cette piste de la mort que tous les braves doivent parcourir. Nous vivrons, nous et nos fils, pour vous venger. Mais nous avons hâte de mourir comme nos aïeux sont morts. »

Quand le chef eut fini sa mélopée, interrompue à chaque couplet par d’affreuses vociférations, les libations recommencèrent de plus belle.

Les prisonniers contemplaient ces scènes avec des émotions qui n’avaient, certes, rien de délicieux. Nick Whiffles, couché sur le dos, ne pouvait, malgré sa philosophie naturelle, s’abstenir d’articuler, de temps en temps, un grognement arraché par la douleur que lui causaient ses membres lacérés. Wilson, le trappeur, qui avait réussi à briser ses entraves, joua si bien son rôle que les Indiens n’eurent aucun soupçon. Quand l’ivresse eut fait perdre la raison à la plupart de ces derniers, il se rapprocha tout doucement de Whiffles et essaya de le délier. Mais les poignets de Nick étaient enflés, les cordes s’étaient enfoncées dans les chairs, et les nœuds en étaient si serrés que les doigts du trappeur ne purent en venir à bout.

— Ah, si j’avais un couteau ! murmura Wilson, désespéré.

Heureusement, Tom Slocomb entendit cette exclamation.

— Monsieur, dit-il, si vous pouvez vous approcher assez pour mettre la main dans la poche de mon côté civilisé, vous trouverez l’objet demandé.

— Tournez-vous sur le ventre, ça amènera votre côté civilisé près de moi, répondit Wilson.

Le Corbeau remplit cette instruction avec beaucoup de difficulté. Wilson prit le couteau ; il allait l’ouvrir, quand Le Loup parut. Il