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de vos mains. Enfoncez vos ongles dans ma chair, si vous voulez ; peut-être trouvez-vous cela digne d’un homme. Vous voilà fâché ! Vous allez me battre sans doute ! Il y a, je crois, des gens qui frappent les femmes !

De fait, Mark Morrow en était arrivé au paroxysme de l’emportement. Quoiqu’en apparence il eût réussi dans son entreprise, le succès ne lui avait pas donné la satisfaction sur laquelle il comptait. Les paroles de Sylveen le brûlaient comme des fers rouges. Si elle eût pu voir sa pâleur, son front plissé par la colère, ses lèvres comprimées, l’agitation de ses nerfs, elle aurait quitté cet accent ironique qui ne pouvait qu’enflammer davantage son ravisseur. Cependant, son instinct de femme lui conseilla de toucher une autre corde.

— La gratitude devrait encore, lui dit-elle, vous empêcher de fouler ainsi mes droits à vos pieds. Qui vous a sauvé la vie, Mark Morrow ? N’est-ce pas la main de Sylveen Vander qui a fait tomber le pistolet appuyé contre votre poitrine ? n’est-ce pas ce même bras que vous meurtrissez à présent ?

— La compassion entra pour peu de chose dans votre action, répondit-il passionnément, puisque déjà vous aviez sans pitié arraché à mes lèvres la coupe du bonheur. Et maintenant, vous venez de raviver en moi un souvenir odieux, car sans doute vous êtes fière de me rappeler votre héros, ce Kenneth Iverson !

— Comparé à Mark Morrow, c’est bien sûr un héros ! repartit-elle, jetée par son indignation hors des limites de la prudence.

— Prenez garde ! s’écria-t-il avec égarement ; ne me poussez pas à bout. Je ne suis pas maître de moi. Le sang me bout dans les veines. Taisez-vous, je vous en conjure.

Sylveen sentit que les doigts de Mark devenaient plus rigides autour de son poignet. Il le lui pressait comme dans un étau. Les vibrations de ses nerfs étaient épouvantables. La jeune fille se laissa mener sans ouvrir la bouche. Ils arrivèrent au coin d’un bois. Deux hommes, conduisant quatre chevaux, en débouchèrent. Dans l’un de ces chevaux elle reconnut le sien ; il portait sa selle ordinaire.

— Voilà le fruit du pillage d’hier soir ! hasarda-t-elle.

— À cheval, et sur-le-champ ! dit impérieusement Mark.

S’apercevant que toute opposition serait inutile, Sylveen souffrit que Mark l’aidât à se mettre en selle. Les deux hommes enfourchèrent deux des animaux en ordonnant, par un geste, à la jeune