Page:Chevalier - Les Pieds-Noirs, 1864.djvu/114

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 108 —

tendez fuir. Que l’hypocrisie ne grossisse donc pas la somme de vos vices ! repartit Sylveen indignée.

— Ah ! ah ! il paraît que nous nous rencontrons sur un nouveau terrain, fit-il impertinemment. Le programme est changé, et vous me voyez dans un nouveau rôle.

— Nullement, monsieur ! je vois en vous un misérable comme vous avez toujours été, repartit-elle avec une dédaigneuse fermeté.

— Il est en votre pouvoir de faire de moi ce que bon vous semblera. Je vous ai aimée, — je vous ai adorée ! Que m’avez-vous donné en échange de cette idolâtrie ? — Ironie, froideur, mépris.

— Vous pourriez ajouter haine ! dit Sylveen.

— Ah ! vous ne connaissez pas l’opiniâtreté et la hardiesse de mon caractère ! répliqua précipitamment Mark.

— Et cela m’est fort indifférent, riposta-t-elle. Je vous demanderai, cependant, ma liberté, en vous ordonnant de cesser des poursuites aussi honteuses qu’inutiles. Je vous assure que je ne vous regarderai jamais qu’avec méfiance et aversion.

— Je ne vis, répondit Mark, que pour un objet ; cet objet, c’est vous. Je ne changerai ni ne veux changer. J’arriverai à mon but, dût-il m’en coûter tout ce qui a du prix aux yeux d’un homme. Mon honneur et ma vie elle-même y passera s’il le faut. Songez-y bien !

— J’y ai songé et ma détermination est irrévocable ; je vous hais ! répondit Sylveen dont le sein bondissait d’indignation.

Exaspéré, Mark lui serra le bras avec rage en la tirant à lui afin de l’emmener ailleurs. N’ayant pas la force physique nécessaire pour résister, elle dut se soumettre à ce nouvel outrage.

— Je céderai, dit-elle ; mais au moins ne soyez pas aussi brutal. Vos doigts me font mal.

— Mal ! ah ! vous ne souffrez pas autant que moi ! Le désappointement n’est-il pas un mal ? N’ai-je point pâli de la plus cruelle incertitude depuis la première fois où je vous ai vue ? Les fluctuations de l’espérance et de la crainte ne deviennent-elles pas des tortures ? Est-ce que je souffre seul, dites ? est-ce que votre sang…

— Vos paroles pourraient être très-romanesques, dans un salon de New-York, de Londres ou de Paris, interrompit-elle ; mais avouez que, dans les circonstances actuelles, le bon goût n’est pas ce qui les caractérise. Est-il convenable même de tenir un pareil langage à une faible jeune fille qui ne peut ni lutter avec vous, ni s’arracher