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en souriant des jolis scrupules que paraissait nourrir le quaker.

— Tu es bien vif et tu as pris cette vie sans réflexion, dit celui-ci ; peut-être, cependant, que cela était utile. Rappelle-toi que ce n’est pas moi qui l’ai fait ; ta conscience seule en sera responsable.

— Oh ! qu’à ça ne tienne, dit Tom. Ne vous inquiétez pas de l’entaille que je lui ai faite, je m’en soucie comme de l’an deux mille. Et je donnerais une lourde charge de pelleteries pour avoir l’avantage de recommencer. Foin de la conscience ! elle n’a que faire ici ! En avant !

Sylveen avait apporté à cette scène les émotions particulières à son sexe. Ses sentiments purs et généreux étaient révoltés par de tels actes de violence. Mais sachant aussi que la moindre indécision pouvait leur être fatale à tous trois, elle cherchait à se consoler, par l’espérance que la fin de la nuit serait celle de ses tourments. Une atroce déception devait renverser cette espérance. Soudain le silence fut troublé par un hurlement affreux, le houp ! houp ! — cri de guerre — de l’homme rouge ! Aussitôt, Abram Hammet s’agita avec une multiplicité de mouvement merveilleuse. Brandissant une hache, il frappait à droite, à gauche, comme un batteur en grange, armé d’un fléau, tandis que Tom Slocomb déchargeait et rechargeait ses armes avec non moins d’ardeur. Troublée par cette attaque soudaine, après tant de perturbations, Sylveen priait mentalement pour le triomphe de ses amis, quand deux bras vigoureux l’enlacèrent et l’entraînèrent, nonobstant tous ses efforts, loin du combat.

— Ne soyez pas alarmée, mademoiselle Vander, ce n’est pas la main d’un sauvage qui vous tient.

— Mark Morrow ! exclama Sylveen.

— Vrai, vous avez deviné, dit Mark. Naturellement, ajouta-t-il avec fatuité, ma voix ne saurait être méconnue par vous qui l’avez si souvent entendue.

— Cessez de me porter, monsieur ; quelles que soient vos intentions, je préfère marcher, s’écria-t-elle d’un ton hautain.

— Comme il vous plaira, chère petite, quoiqu’il me soit bien pénible de vous laisser écorcher vos pieds si délicats sur ce chemin raboteux. Allons ! les Indiens sont derrière nous ; hâtons-nous !

— Ne croyez pas me tromper, Mark Morrow. Vos trames perfides m’ont été révélées. Vous êtes ligué avec ces Indiens que vous pré-