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cesse. Bientôt, nous aurons du plaisir. Chassez votre vilain chien, mon petit brin de sauge sauvage, car je n’aime pas sa mine rébarbative.

— Il ne vous fera pas de mal, tant que vous serez civil, répondit Sylveen. Il n’est pas beau, mais c’est une bonne bête.

— Civil, ma violette ? Je suis toujours civil pour les dames. Je suis l’idole des deux races que je représente. Filles blanches et filles rouges se sont disputé Tom Slocomb. Je suis le grand Rôdeur du Nord, — le Corbeau de la rivière Rouge ! Couah ! couah ! couah !

En vrai chien mal-appris, Calamité poussa un nouveau grognement de mécontentement.

Tom Slocomb, s’apercevant que sa belle visiteuse n’était pas le moins du monde disposée à s’asseoir à terre, courut chercher un fagot de branchages, sur lequel il étendit sa couverte pliée en quatre. Elle accepta cette courtoisie ; mais à peine se fut-elle placée sur le siége improvisé que sa nouvelle connaissance, s’assit vis-à-vis d’elle, appuya les coudes sur ses genoux, le visage sur ses mains, et la contempla opiniâtrement, en exprimant son admiration par des signes et des exclamations caractéristiques.

— Montagnes et rivières ! ça bat le Grand Rouge ! ça m’enlève la respiration !

On peut se figurer l’embarras de Sylveen.

Le soleil s’était couché, l’ombre rampait dans la petite hutte. La jeune fille redoutait les ténèbres et la familiarité de Tom Slocomb. Elle regrettait d’avoir fait éclore de telles idées dans l’esprit égaré de ce malheureux. À sa demande, il alluma du feu et lui offrit un souper qui n’était pas à dédaigner dans cette occasion. Calamité eut part au festin. Après avoir mangé tout son soûl, il s’étendit près de la jeune fille, en se léchant amoureusement les pattes. Sylveen était brisée de fatigue, aussi malgré son inquiétude, ne tarda-t-elle pas à s’endormir.