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— Embarras, ma fleur des prairies ! L’embarras c’est que je n’ai pas assez d’embarras. Sans cesse je foule les territoires du Nord dans toute leur longueur et dans toute leur largeur pour trouver de l’embarras. S’il est une friandise que puissent aimer vos lèvres rosées, le poisson qui nage dans l’onde cristalline, l’oiseau qui plane dans le pur éther, ou l’animal qui broute le gazon, parlez : je suis à votre service. Faut-il faire cent milles pour vous trouver quelque chose, dites ! Voici mon palais, ajouta-t-il, en montrant la hutte. Entrez-y et faites-en votre demeure. Il est frais en été, chaud en hiver. Emmenez-y votre chat sauvage. Couah ! couah ! couah !

Calamité gronda de nouveau, connue s’il eût été offensé par le cri de l’étranger.

Sylveen ne savait trop si elle devait accepter l’invitation ; cependant elle se décida à entrer dans la cabane.

— Vous êtes, je pense, un franc trappeur, qui s’est déguisé pour son plaisir, dit-elle, en voulant se montrer sociable.

— Je suis aussi franc que la nature. Le Grand Rouge[1] lui-même n’est pas plus libre. Et quant à un déguisement, je ne connais pas cela. Si c’est quelque chose pour se sustenter, j’en suis fort, répondit-il, en prenant du tabac, dans un sac de peau de loutre attaché à son côté sauvage.

— Vous appartenez sans doute à l’une des grandes compagnies de pelleteries ? dit Sylveen.

— J’ai, dans mon temps, appartenu à toutes deux, répliqua-t-il ; mais à présent je suis à mes pièces. Les compagnies n’étaient pas assez grandes pour moi, — non, ni l’une ni l’autre. Affaires de contrebandiers que celles de la Compagnie de la haie d’Hudson et du Nord-ouest. Prenez un siège, si vous en pouvez trouver un, suave rayon de miel ! J’ai coutume de m’accroupir sur le sol, comme une squaw, je le reconnais. Depuis bien longtemps j’ai négligé mon intérieur. L’eau y dégoutte un peu quand le temps est à la pluie.

Levant les yeux, Sylveen aperçut le ciel à travers le toit.

— N’ayez pas peur, mon ange, continua son hôte, je m’en vais faire du feu et vous régaler d’un jambon d’ours, comme une prin-

  1. Nom donné par quelques métis ou bois-brûlés à la rivière Rouge du nord.