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revinrent à la prairie dont ils côtoyèrent les bords pendant la plus grande partie de la journée. Rien n’indiquait le bout de cette lande stérile, ni la fin du marais. L’inquiétude de Sylveen est plus facile à imaginer qu’à dépeindre. Dans l’après-midi, un loup se présenta à quelque distance d’eux. Calamité n’eut pas de peine à le faire partir. Mais les aboiements du chien amenèrent d’autres loups qui se mirent à leur piste, en poussant des hurlements sinistres. Sans son intrépide protecteur, la pauvre Sylveen aurait difficilement échappé à la voracité de ces carnassiers. La présence de Calamité suffit heureusement pour les tenir en respect.

Un peu avant le coucher du soleil, une lueur d’espérance jaillit dans le cœur de la pauvre fille. À travers les broussailles, elle distingua soudain le faîte d’une hutte. Cette hutte, grossièrement construite, ne témoignait toutefois pas beaucoup en faveur de son architecte. Elle se composait de quelques pieux fichés en terre et recouverts d’écorce mal cousue, disjointe en plusieurs places.

Calamité s’approcha lentement de la cabane, l’examina, la flaira et enfin aboya. Sa démonstration fit sortir un être bizarre, dont l’aspect effraya Sylveen. Cet individu paraissait appartenir à l’espèce humaine, quoiqu’il fût bâti d’une façon si extraordinaire que nous allons être obligé de le peindre avec quelques détails.

C’était un personnage d’une taille plus que moyenne et accoutré d’une façon unique. Il avait le côté droit de la face peint en rouge et rasé de près, tandis que le gauche était à l’état naturel, c’est-à-dire blanc et hérissé par une barbe longue et rude. La ligne de démarcation, entre ces couleurs, s’étendait du milieu du front à l’os costal, ou, en d’autres mots, jusqu’au vêtement, en partageant longitudinalement le nez, le milieu de la bouche et le menton. La chevelure du côté vermillonné était relevée, jusqu’aux centre de la région coronale et liée comme la mèche à scalper d’un Indien, l’autre côté était peigné et lissé à la manière des blancs. De la touffe de cheveux à droite s’élevaient, en se balançant superbement, des plumes de dinde sauvage. Le costume du personnage répondait aux antithèses de sa tête. Sa chemise de chasse était moitié en drap, moitié en peau de daim, frangée d’un côté, unie de l’autre. Sa jambe droite était ornée d’un mitas et d’un mocassin ; sa gauche emprisonnée dans un fragment de pantalon et une botte. La main droite était rouge, la gauche blanche. Vu d’un côté, il n’était que peau de