Page:Chesterton - Le Retour de Don Quichotte.djvu/58

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Cela ne vous fait rien que je partage votre omnibus ? demanda Murrel, tombant sur un banc à côté de l’unique voyageur d’impériale.

Ils s’assirent sur les sièges du devant, et le souffle froid de la nuit leur frappa le visage sitôt que la voiture se mit en marche. L’air sembla tirer Braintree d’un rêve et il répondit brièvement.

— Au vrai, reprit Murrel, je suis tenté d’aller voir votre cave à charbon.

— Vous n’aimeriez guère à y être enfermé, dit l’autre, toujours un peu maussade.

— Bien sûr, j’aimerais mieux être enfermé dans la cave au vin… Nouvelle version de votre parabole sur le Travail : les riches frivoles et paresseux festoyant en haut, tandis que le son sourd et persistant des bouchons qui sautent leur rappellerait que je suis dessous, peinant, travaillant, jamais en repos… Mais réellement, mon vieux, il y a du vrai dans ce que vous avez raconté sur vous-même et sur les endroits noirs que vous fréquentez, et je me suis dit que j’y jetterais un coup d’œil.

Aux yeux de M. Almeric Wister et d’autres, ç’aurait été un manque de tact de parler à un homme plus pauvre de son milieu enfumé. Mais Murrel ne manquait jamais de tact, et il ne se trompait pas en affirmant qu’il s’y connaissait en hommes. Il connaissait la sensibilité morbide des plus virils ; il connaissait la terreur maladive de son ami pour le snobisme et se serait bien gardé de lui parler de ses succès de salon. Tandis que causer avec Braintree comme avec l’esclave de la cave à charbon, c’était renforcer son respect de lui-même.

— Des teintureries et des usines de ce genre, n’est-ce pas ? demanda Murrel, contemplant la forêt