Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/95

Cette page a été validée par deux contributeurs.

rence à la bombe. Le couteau a servi à couper d’excellentes choses. Quelle exquise sensation ! Enfoncer un couteau dans le dos d’un Président de la République et retourner le fer dans la plaie !

— Vous avez tort, protesta le secrétaire en fronçant les sourcils. Le couteau convenait à l’antique querelle personnelle d’un individu contre un tyran. La dynamite n’est pas seulement notre instrument le meilleur, elle est aussi notre meilleur symbole. Un aussi parfait symbole de l’anarchie que peut l’être l’encens pour les prières des chrétiens. La dynamite se répand et ne tue que parce qu’elle se répand. La pensée aussi ne détruit que parce qu’elle se répand. Le cerveau est une bombe ! s’écria-t-il en s’abandonnant soudain à sa passion et en se frappant le crâne avec violence : mon cerveau est une bombe que je sens sur le point, sans cesse, d’éclater ! Il veut se répandre ! Il faut qu’il se répande ! Il faut que la pensée se répande, l’univers en fût-il réduit en poussière.

— Je ne désire pas que l’univers saute en ce moment, dit le marquis, très bas : je veux faire autant de mal que je pourrai avant de mourir. J’y pensais hier soir, dans mon lit.

— En effet, dit le docteur Bull avec son sourire de sphinx, si le néant est le but unique de tout, cela vaut-il le moindre effort ?

Le vieux professeur regardait au plafond de ses yeux morts.