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il avait jusqu’alors presque oublié ce personnage falot, le poète Gregory, simple esthète de l’anarchie. Il se ressouvenait de lui, maintenant, avec une sorte de sympathie, comme d’un ami avec lequel il aurait joué, jadis, dans son enfance. Mais il se rappelait aussi qu’il restait lié à Gregory par une promesse intransgressible : il lui avait promis de ne pas faire précisément ce qu’il avait été sur le point de faire. Il lui avait promis de ne pas enjamber le balcon, de ne pas appeler ce policeman. Il retira sa main glacée de la froide balustrade de pierre. Son âme roulait dans un vertige d’indécision. Il n’avait qu’à violer un serment inconsidéré, prêté à une société de bandits, et sa vie devenait aussi belle et riante que ce square ensoleillé. D’autre part, s’il restait fidèle aux lois antiques de l’honneur, il se livrait peu à peu sans recours à ce grand ennemi de l’humanité dont l’évidente et immense intelligence était une chambre de torture.

Chaque fois qu’il se tournait vers le square, il voyait le policeman, confortable comme un pilier du sens commun et de l’ordre public. Et, chaque fois que le regard de Syme revenait à la table, il voyait le Président qui continuait à l’épier, de ses gros yeux insupportables.

Il est deux idées, cependant, qui, dans le torrent de ses pensées, ne lui vinrent pas à l’esprit.

D’abord, il ne lui arriva pas un instant de mettre en doute que le Président et son Conseil ne pussent