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rictus grimaçant qui défigurait soudain les traits de son guide correspondait chez tous quelque déformation. Ils avaient tous quelque chose d’exceptionnel, qui se dérobait à la première analyse, et ce quelque chose d’exceptionnel était quelque chose d’à peine humain. Syme se formula à lui-même sa propre pensée en se disant que ces gens-là lui apparaissaient comme auraient fait des gens à la mode et bien élevés avec la légère touche qu’y aurait ajoutée un miroir faussé, concave ou convexe.

Des précisions individuelles pourront seules rendre compte de cette secrète anomalie. Le cicérone de Syme était Lundi, secrétaire du Conseil. Après le rire abominablement réjoui du Président, rien de plus affreux que le rictus du secrétaire. Mais, maintenant que Syme pouvait le considérer à loisir et au grand jour, il distinguait en lui d’autres singularités. Ce visage noble, mais invraisemblablement émacié, dénonçait-il les ravages de la maladie ? L’intensité même de la détresse qu’on lisait dans ses yeux protestait contre cette hypothèse. Cet homme ne souffrait pas d’un mal physique. Sa souffrance était purement intellectuelle : c’était sa pensée qui faisait sa torture.

Et ce trait apparentait entre eux tous les membres du Conseil. La folie de Mardi se trahissait plus vite que celle de son voisin Lundi. Mais n’était-ce pas un fou aussi que Mercredi, — un certain marquis de Saint-Eustache, figure aussi