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drait pour se précipiter du haut d’une falaise, il se dirigea vers un siège vacant auprès de la table et s’assit. Les autres le saluèrent avec bonne humeur, avec familiarité, comme s’ils l’avaient connu de longue date. Il retrouva un peu de sérénité en constatant que ses voisins étaient convenablement et normalement vêtus, que la cafetière était brillante et solide. Puis, il jeta de nouveau un regard sur Dimanche : oui, son visage était fort grand, mais il ne dépassait tout de même pas les proportions permises à l’humanité.

Comparée au Président, toute la compagnie avait l’air passablement vulgaire. Rien de frappant, à première vue, sinon que, pour obéir au caprice du maître, tous les membres du Conseil étaient mis comme pour un gala, si bien qu’on se fût cru à un festin de noce.

L’un de ces individus se distinguait, pourtant, à l’examen le plus superficiel. On pouvait reconnaître en lui le dynamiteur vulgaire et pour ainsi dire vulgaris. Il portait bien, comme les autres, un grand col blanc et une cravate de satin : l’uniforme. Mais, de ce col et de cette cravate émergeait une tête indisciplinable. Pas moyen de s’y tromper. C’était une broussaille étonnante de barbe et de cheveux bruns où luisaient les yeux d’un terrier, ou plutôt peut-être les yeux tristes d’un moujik russe. Cette figure n’était pas terrifiante, comme celle du Président ; mais elle avait toute cette diablerie qui est un effet de l’extrême grotesque.