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Les deux hommes gravirent l’escalier en silence.

Syme n’avait pas un instant songé à demander si ce monstre qui remplissait le balcon était bien le grand Président dont les anarchistes ne pouvaient prononcer le nom sans trembler. Il le savait, il l’avait su immédiatement, sans qu’il lui eût été possible de préciser les motifs de sa certitude. Syme était un de ces hommes qui sont sujets aux influences psychologiques les plus obscures, à un degré qui ne va pas sans quelque danger pour la santé de l’esprit. Inaccessible à la peur physique, il était beaucoup trop sensible à l’odeur du mal moral. Plusieurs fois déjà pendant cette nuit, des choses insignifiantes avaient pris à ses yeux une importance capitale, lui donnant la sensation qu’il était en route vers le quartier général de l’enfer ; et cette sensation devenait irrésistible, maintenant qu’il allait aborder le grand Président. Elle prit la forme d’une suggestion puérile et pourtant détestable. Comme il s’avançait vers le balcon en traversant la pièce qui le précédait, il lui sembla que la large figure de Dimanche s’élargissait encore, s’amplifiait toujours, et Syme fut pris de terreur à la pensée que cette figure serait bientôt trop vaste pour être possible, et qu’il ne pourrait s’empêcher de jeter un cri. Il se rappelait qu’enfant il ne pouvait regarder le masque de Memnon au Musée britannique, parce que c’était une figure, et si grande.

Par un effort plus héroïque que celui qu’il fau-