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France ou d’Espagne. Syme eut de plus en plus nettement une sensation qui devait se reproduire bien des fois au cours de son aventure, la sensation aiguë qu’il s’était égaré dans une planète nouvelle. En fait, il n’avait cessé d’acheter de mauvais cigares aux environs de Leicester Square, depuis sa jeunesse. Mais, ce jour-là, en découvrant au tournant du coin les coupoles mauresques et les arbres, il eût juré qu’il débouchait sur la « Place de Chose ou Machin » de quelque ville étrangère.

En angle, au coin du square, se profilait un hôtel, dont la façade principale donnait sur une rue latérale. Au-dessus d’une grande porte-fenêtre, sans doute la porte d’un café, un balcon énorme faisait saillie, dominant le square, un balcon assez spacieux pour qu’une table y fût mise. Sur ce balcon, il y avait, en effet, une table, une table à déjeuner, et, autour de cette table, visible de la rue et en plein soleil, un groupe d’hommes bruyants et bavards, tous habillés avec l’insolence de la mode, le gilet blanc et la boutonnière fleurie. Quand ils plaisantaient, on les entendait parfois de l’autre bout du square. Le grave compagnon de Syme fit sa grimace si peu naturelle, et Syme comprit que ces joyeux convives étaient les membres du conclave secret des dynamiteurs européens.

Puis, comme il ne pouvait détourner son regard de ce groupe, il y remarqua quelque chose qui tout d’abord lui avait échappé. Et cela lui avait échappé, parce que c’était trop grand pour être vu