Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/67

Cette page a été validée par deux contributeurs.

mais je n’étais pas parvenu à formuler l’antithèse verbale. Oui, tout méchant qu’il soit, le criminel ordinaire est du moins, pour ainsi dire, conditionnellement un brave homme. Il suffirait qu’un certain obstacle — disons un oncle riche — fût écarté pour qu’il acceptât l’univers tel qu’il est et louât Dieu. C’est un réformateur ; ce n’est pas un anarchiste. Il veut réparer l’édifice, il ne veut pas le démolir. Mais le mauvais philosophe ne se propose pas de modifier : il veut anéantir. Oui, la société moderne a gardé de la police ce qui en est vraiment oppressif et honteux. Elle traque la misère, elle espionne l’infortune. Elle renonce à cette œuvre autrement utile et noble : le châtiment des traîtres puissants dans l’État, des hérésiarques puissants dans l’Église. Les modernes nient qu’on ait le droit de punir les hérétiques. Je me demande, moi, si nous avons le droit de punir qui que ce soit qui ne l’est pas.

— Mais c’est absurde ! fit le policeman avec une ardeur peu commune chez les personnes de sa profession et de sa corpulence. Mais c’est intolérable ! J’ignore quel métier vous faites, mais quel qu’il soit, je sais que vous manquez votre vocation. Il faut que vous vous enrôliez dans notre brigade de philosophes antianarchistes, et vous le ferez. L’armée de nos ennemis est à nos frontières. Ils vont tenter un grand coup. Un instant de plus et vous manquez la gloire de travailler avec nous, la gloire, peut-être, de mourir avec les derniers héros du monde.