un long cigare noir qu’il avait acheté quatre sous dans Soho, il ressemblait assez à l’un de ces anarchistes contre lesquels il menait la guerre sainte.
C’est peut-être pourquoi un policeman, en faction sur les quais, s’approcha de lui et lui dit :
— Bonsoir.
Syme, en raison des inquiétudes maladives que lui causait le sort précaire de l’humanité, fut interloqué par la placide assurance de l’automatique factionnaire qui faisait dans le crépuscule une large tache bleue.
— En vérité, dit-il d’un ton cassant, le soir est-il si bon ou si beau ? Pour vous autres, la fin du monde aussi serait un beau soir… Mais voyez donc ce soleil rouge-sang sur le fleuve rouge-sang ! Je vous le dis : ce fleuve charrierait du sang humain, des flots lumineux de sang, que vous seriez là comme vous êtes ce soir, solide et calme, occupé à guetter quelque pauvre vagabond inoffensif, pour le faire circuler. Vous autres policemen, vous êtes cruels pour les pauvres ! Encore vous pardonnerais-je votre cruauté. C’est votre calme qui est intolérable.
— Si nous sommes calmes, répliqua le policeman, c’est le calme de la résistance organisée.
— Comment ? fit Syme en le regardant fixement.
— Il faut que le soldat reste calme au fort de la bataille, continua le policeman. Le calme d’une armée est fait de la furie d’un peuple.