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de nouvelles, de vers et de violents articles, où il dénonçait ce déluge de barbarie et de négation. Mais, malgré tant d’efforts, il ne parvenait pas à atteindre son ennemie, ni même, ce qui est plus grave, à se faire une situation sociale.

Quand il se promenait sur les quais de la Tamise, mordant amèrement un cigare à bas prix et méditant sur les progrès de l’Anarchie, il n’y avait pas d’anarchiste, bombe en poche, plus sauvage d’aspect que ce solitaire ami de l’ordre. Il se persuadait que le gouvernement, la société, étaient isolés, dans une situation désespérée, au pied du mur. Il ne fallait rien moins que cette situation désespérée pour apitoyer ce Don Quichotte.

Ce soir-là, le soleil se couchait dans le sang. L’eau rouge reflétait le ciel rouge, et, dans le ciel et dans l’eau, Syme reconnaissait la couleur de sa colère. Le ciel était si chargé et le fleuve si brillant que le ciel pâlissait auprès du flot de feu liquide, s’écoulant à travers les vastes cavernes d’une mystérieuse région souterraine.

Syme, à cette époque, manquait d’argent. Il portait un chapeau haut de forme démodé, un manteau noir et déchiré encore plus démodé, et cette tenue lui donnait l’air des traîtres de Dickens et de Bulwer Lytton. Sa barbe et ses cheveux blonds se hérissaient. On n’eût guère pressenti en ce personnage léonin, le parfait gentleman qui, longtemps après, devait pénétrer dans les jardinets de Saffron Park ; entre ses dents serrées il tenait