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la loi. » Je fus tout de suite « brûlé » une fois de plus. En désespoir de cause, j’allai demander avis au président du Conseil Anarchiste Central. C’est le plus grand homme d’Europe.

— Comment s’appelle-t-il ? demanda Syme.

— Si je vous disais son nom, vous ne le connaîtriez pas. Et c’est là le secret de sa grandeur. Un César, un Napoléon dépensent tout leur génie à faire parler d’eux ; ils y réussissent. Il met, lui, tout son génie à ne pas parler de lui, et l’on ne parle pas de lui. Mais il est impossible d’être pendant cinq minutes en sa présence sans avoir l’impression que César et Napoléon auraient été des enfants entre ses mains.

Gregory se tut brusquement. Il avait pâli.

— Ses conseils, reprit-il, ont toujours ce double caractère : ils sont à la fois piquants, surprenants comme une épigramme et pratiques comme la Banque d’Angleterre. « Comment dois-je me déguiser ? », lui demandai-je. « Comment me cacher aux yeux du monde ? Que trouverai-je de plus respectable que les évêques et les commandants ? » Il tourna vers moi son grand visage indéchiffrable : « Il vous faut un déguisement sûr, n’est-ce pas ? Il vous faut une tenue qui vous garantisse comme un être parfaitement inoffensif, un vêtement d’où nul ne s’attende à voir sortir une bombe, n’est-ce pas ? » J’inclinai la tête, en signe d’assentiment. « Eh bien ! déguisez-vous en anarchiste, espèce d’imbécile ! » Et il rugissait si fort que les murs