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— Non, corrigea le professeur : un cheval.

Ils écoutèrent attentivement : en effet, ce n’était pas la cavalcade entière qui se rapprochait, mais un seul cavalier, en avance sur l’armée, et c’était le forcené secrétaire.

La famille de Syme, comme la plupart de celles qui aboutissent à la vie simple, avait jadis possédé une automobile. Syme connaissait donc à merveille la manœuvre. Il s’était hissé sur le siège du chauffeur, et, de toutes ses forces, en se congestionnant, il tirait sur les rouages, hors d’usage depuis longtemps. Il appuya sur le volant :

— Je crains bien qu’il n’y ait pas moyen, dit-il avec un flegme irréprochable.

Il n’avait pas achevé, qu’un homme, droit en selle sur un cheval écumant, tournait le coin de la rue avec la rapidité, la rigidité d’une flèche. Le menton, crispé par un rictus, faisait saillie, comme disloqué. Le cavalier s’avança vers l’auto stationnaire, où les détectives étaient en train de monter, et mit la main sur le rebord de la capote. C’était le secrétaire. Un muet rire de triomphe tordait sa bouche.

Syme pesait toujours sur le volant. On n’entendait que la galopade furieuse de l’armée anarchiste entrant dans la ville. À ce bruit, tout à coup un autre bruit se mêla, celui du fer grinçant contre le fer, et l’auto s’enleva dans une brusque embardée. Elle arracha le secrétaire de sa selle, comme on tire une épée d’une gaine, le traîna pendant une dizaine