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ayant dit : Je veux aller à Victoria. Gardez pour vous vos livres de vers ou de prose ; moi, je verserai des larmes d’orgueil en lisant un horaire. Gardez votre Byron qui commémore les défaites des hommes, et donnez-moi l’horaire de Bradshaw qui raconte leurs victoires, donnez-moi l’horaire, entendez-vous !

— Allez-vous loin ? demanda Gregory sarcastique.

— Je vous l’assure, continua Syme avec ardeur, chaque fois qu’un train arrive en gare, j’ai le sentiment qu’il s’est frayé son chemin sous le feu d’innombrables batteries ennemies et que l’homme a vaincu le chaos. Vous trouvez pitoyable qu’après avoir quitté Sloane Street on arrive nécessairement à Victoria ; et moi, je vous dis qu’on pourrait fort bien ne jamais arriver à Victoria, qu’il est merveilleux qu’on y arrive et qu’en y arrivant je me félicite d’avoir échappé de très près à mille malheurs. Victoria ! Ce n’est pas un mot dépourvu de sens, pour moi, quand c’est le conducteur qui le crie ! C’est pour moi le cri du héraut annonçant la victoire : la victoire d’Adam !

Gregory, lentement, branla sa lourde tête fauve, en souriant avec mélancolie.

— Et nous, dit-il, nous autres, les poètes, en arrivant à Victoria, nous nous disons : « Qu’est-ce donc que Victoria, maintenant que nous y sommes ? » Victoria vous apparaît comme la Jérusalem Nouvelle : et nous, la Jérusalem Nouvelle nous