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pénétra dans le cou du marquis, sous la mâchoire. Elle en sortit intacte.

Affolé, Syme fit une nouvelle attaque, et, cette fois, son épée aurait dû balafrer le visage de l’adversaire ; à ce visage, pas une égratignure.

Pour un moment, le ciel de Syme se chargea de nouveau de noires terreurs monstrueuses : le marquis avait un charme. Cette nouvelle peur spirituelle était quelque chose de plus épouvantable que ce monde renversé dans lequel le paralytique lui avait donné la chasse. Le professeur n’était qu’un lutin. Cet homme-ci était un diable — peut-être le Diable ! En tout cas, il y avait cela de certain que, par trois fois, une épée l’avait atteint, vainement.

Quand il se fut formulé à lui-même cette pensée, Syme se redressa. Tout ce qu’il y avait en lui de bon exulta, dans les hauteurs de l’air, comme le vent qui chante dans la cime des arbres. Il pensait à tout ce qu’il y avait d’humain dans son aventure, aux lanternes vénitiennes de Saffron Park, aux cheveux blonds de la jeune fille dans le jardin, aux honnêtes matelots qui buvaient de la bière près des docks, aux loyaux compagnons qui dans cet instant même se tenaient à ses côtés. Peut-être avait-il été choisi, comme champion de ces êtres et de ces choses simples et vraies, pour croiser l’épée avec l’ennemi de la création.

— Après tout, se disait-il, je suis plus que le Diable : je suis un homme. Je puis faire une chose