Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’image et l’expression de cette splendide petitesse qui est l’âme du patriotisme local : le ciel même paraissait petit.

Les uns, donc, se rappelleront cette soirée à cause de l’oppression que faisait peser le ciel ; les autres, parce qu’elle marqua l’apparition d’un second poète à Saffron Park.

Longtemps le révolutionnaire aux cheveux rouges avait régné sans rival. Le soir du fameux coucher de soleil, sa solitude prit subitement fin.

Le nouveau poète, qui se présentait sous le nom de Gabriel Syme, avait les apparences d’un mortel de mœurs fort douces. Les cheveux d’or pâle ; la barbe blonde, taillée en pointe. On le soupçonnait, toutefois, assez vite d’être moins doux qu’il n’en avait l’air.

Son entrée fut signalée par un différend entre lui et le poète établi, Gregory, sur la nature même de la poésie. Syme se donna pour le poète de la Loi, le poète de l’Ordre, — bien plus : le poète des Convenances. Les gens de Saffron Park le regardèrent avec stupeur, comme s’il venait de tomber de l’impossible ciel de ce soir-là.

M. Lucien Gregory, le poète anarchiste, remarqua expressément qu’il y avait entre les deux phénomènes un rapport :

— Sans doute, dit-il à sa façon brusque et lyrique, sans doute il fallait une soirée comme celle-ci, il fallait ces nuages aux couleurs cruelles pour que se montrât à la terre un monstre tel