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à être accueilli par des éclats de rire ou par une bordée d’injures indignées, selon l’état d’esprit où se trouveraient ces messieurs. Je ne saurais dire quelle surprise fut la mienne, lorsqu’il se fit, à mon aspect, un silence religieux, suivi, quand j’ouvris la bouche, d’un murmure admiratif. Je subissais la malédiction de l’artiste parfait. J’avais été trop habile, j’étais trop vrai. Ils me prenaient pour le grand apôtre nihiliste lui-même. J’étais alors un jeune homme parfaitement sain d’esprit, et cette circonstance fit sur moi une impression profonde. Mais, avant que je fusse revenu de mon étonnement, deux ou trois de mes admirateurs s’approchèrent de moi, tout frémissants d’indignation, et me dirent que j’étais publiquement outragé dans la pièce voisine. Je demandai de quelle nature était cet outrage, et j’appris qu’un impertinent osait me parodier. J’avais bu plus de champagne, ce jour-là, que de raison, et, par un coup de folie, je résolus d’aller jusqu’au bout. Sur ces entrefaites, le professeur lui-même entra ; toutes les personnes qui m’entouraient le toisèrent, et je le considérai d’un regard glacial, les sourcils haut levés.

J’ai à peine besoin d’ajouter qu’il y eut une collision. Les pessimistes qui composaient la galerie considéraient tantôt l’un, tantôt l’autre des deux de Worms, se demandant lequel était le plus impotent. C’est moi qui gagnai. Un vieillard de santé précaire, comme mon rival, ne pouvait donner aussi complètement qu’un jeune acteur dans