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flotte dans le ciel. Ce charme était, véritablement, irrésistible les soirs de fête locale, quand de grosses lanternes vénitiennes, fruits monstrueux des arbres nains, illuminaient les jardinets.

Et ce charme fut plus sensible, plus irrésistible que jamais, un certain soir dont on se souvient encore dans le voisinage et dont le poète aux cheveux châtains fut le héros.

Il avait été, du reste, le héros de bien d’autres soirs avant celui-là. Il ne se passait guère de jour qu’on ne pût entendre, dès le crépuscule tombé, la voix haute et professorale de ce jeune homme dicter, du fond de son petit jardin, des lois à l’humanité entière, et plus particulièrement aux femmes. L’attitude des femmes, dans ces occasions, était même fort remarquable. Elles appartenaient presque toutes — je parle de celles qui habitaient le faubourg — à la catégorie des émancipées, et faisaient en conséquence profession de protester contre la suprématie du mâle. Or, ces personnes « nouvelles » étaient toujours disposées à vous accorder cet honneur que jamais aucune femme ordinaire n’accorde à aucun homme : elles vous écoutaient tandis que vous parliez.

À vrai dire, M. Lucien Gregory méritait qu’on l’écoutât, ne fût-ce que pour rire, ensuite, de ses discours. Il débitait la vieille fable de l’anarchie de l’art et de l’art de l’anarchie avec une certaine fraîcheur, un ragoût d’insolence où l’on pouvait trouver quelque bref agrément.