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sances rococo, vous-même, par exemple. Il y a le garçon mort qui était là, alors qu’il ne pouvait y être. Il y a la main invisible qui rafla les couverts de votre table, pour s’évanouir à l’instant. Mais tout beau crime repose, en dernier ressort, sur un simple fait, sur un fait qui n’a rien de mystérieux en lui-même. C’est en déguisant ce fait, et en détournant l’attention des spectateurs, que le criminel nous trompe. Ce vol important et subtil et qui (dans toute autre circonstance) eût été des plus rémunérateurs, reposait sur ce simple fait que l’habit que porte un gentleman est le même que celui que porte un garçon de café. Tout le reste n’était que jeu d’acteur, d’un acteur admirable.

— Pourtant, dit le colonel en se levant, je ne comprends pas encore parfaitement.

— Colonel, reprit le Père Brown, je vous dis que cet archange d’impudence, qui vola vos couverts, arpenta vingt fois ce corridor, éclairé par toutes les lampes, vu par tous les yeux. Il ne se cacha pas dans quelque coin obscur où le moindre soupçon eût révélé sa présence. Il ne cessa pas un instant de marcher par les corridors éclairés, et partout où il passait, il avait l’air d’être à sa place. Ne me demandez pas comment il était fait. Vous l’avez vu vous-même six ou sept fois ce soir. Vous avez attendu l’heure du dîner avec les autres notabilités du club, dans le salon là-bas, à l’extrémité du corridor, devant la terrasse. Chaque fois qu’il arrivait parmi vous, il marchait dans le style fulgurant d’un garçon de café, tête basse ; serviette au vent et pieds lé-