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longue pour le laisser filer jusqu’au bout du monde, et pour le ramener ensuite à moi, d’un mouvement du poignet.

Il y eut un long silence. Toutes les autres personnes présentes se dispersèrent pour rapporter les couverts à leurs camarades ou pour discuter avec le propriétaire cette curieuse aventure. Mais le colonel, le visage farouche, resta assis de côté sur le comptoir, balançant ses longues jambes maigres et mordillant sa moustache noire.

Il dit enfin tranquillement au prêtre :

— Ce doit avoir été un malin, mais je crois connaître quelqu’un de plus malin que lui.

— C’est un garçon intelligent, répondit Brown, mais je ne sais pas très bien de quel autre vous voulez parler.

— Je parle de vous, dit le colonel en riant. Je ne désire pas faire pincer le gaillard ; rassurez-vous sur ce point. Mais je donnerais un bon nombre de fourchettes d’argent pour savoir exactement le rôle que vous avez joué dans l’affaire, et comment vous avez réussi à vous emparer de son butin. J’imagine que vous êtes le plus rusé démon que j’aie jamais rencontré.

Le Père Brown ne sembla nullement blessé par la franchise saturnienne du soldat.

— Je ne puis naturellement, dit-il en souriant, vous révéler l’identité de cet homme, ni vous conter son histoire ; mais il n’y a pas de raison pour je ne vous expose pas les faits tels qu’ils se sont présentés à moi.

Il sauta sur la barrière, avec une surprenante