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le club ne comptait que douze membres. Ceux-ci pouvaient donc occuper la table en grand style, en ne s’asseyant qu’à l’un de ses côtés, sans vis-à-vis, de manière à ne rien perdre de la vue du jardin, dont les couleurs étaient encore éclatantes quoique la soirée fût exceptionnellement sombre, pour l’époque de l’année. Le président s’asseyait au milieu de la table, et le vice-président à l’extrémité de droite. Toujours suivant la tradition et pour quelque mystérieuse raison, à l’entrée des douze hôtes, les quinze garçons se tenaient alignés contre le mur, comme des soldats présentant les armes au roi, tandis que le gros propriétaire saluait profondément le club, avec une joyeuse surprise, comme s’il n’en avait jamais entendu parler auparavant. Mais, avant que les couteaux et les fourchettes ne tintent dans les assiettes, cette armée de serviteurs s’évanouit ne laissant derrière elle qu’un ou deux domestiques distribuant et ramassant vivement les assiettes, dans le plus mortel silence. Il va de soi que M. Lever, le propriétaire, avait disparu depuis longtemps, dans une dernière convulsion de politesse. Il serait exagéré, il serait presque sacrilège de suggérer qu’il apparût encore. Mais, lorsque le poisson, le plat le plus important, fut servi, on sentit — comment dirai-je ? — l’ombre de son ombre, la projection de sa personnalité, décelant sa présence non loin de là. Le plat de poisson consistait (aux yeux du vulgaire) en une sorte de monstrueux pudding, de la forme et des dimensions d’un wedding cake, dans les entrailles duquel un nombre considérable d’in-