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hôtel. Chacun d’eux était tenu d’observer ce silence terrifiant et cette souplesse d’allure qui appartient en propre au valet privé. Et, en fait, il y avait généralement au moins un garçon attaché au service de chaque convive.

Le club des « Douze Vrais Pêcheurs » n’eût jamais consenti à dîner ailleurs, car ses membres aimaient cette luxueuse intimité. Ils eussent été bouleversés à la seule pensée qu’un autre club mangeât dans le même établissement. À l’occasion de leur dîner annuel, les « Pêcheurs » étalaient d’habitude tous leurs trésors, comme s’ils s’étaient trouvés dans une maison particulière, et, tout spécialement, leur célèbre service de couteaux et de fourchettes à poisson, qui constituait, en quelque sorte, les insignes de la société. Chaque pièce de ce service représentait un poisson délicatement ciselé, et portait, enchâssée au manche, une grosse perle fine. On l’exhibait, chaque fois que l’on servait le poisson, et ce plat était toujours le plus mirifique de ce mirifique festin. La société avait une foule de rites et de coutumes, mais elle ne possédait aucune tradition, aucun but, ce qui rehaussait encore son caractère aristocratique. Il n’était pas nécessaire d’être quoi que ce soit pour devenir l’un des « Douze Pêcheurs » ; à moins que vous ne vous fussiez déjà élevé à un certain rang, vous n’entendiez même jamais parler d’eux. Le club avait douze ans d’existence. Son président était M. Audley, son vice-président, le duc de Chester.

Si j’ai le moins du monde réussi à traduire l’auguste atmosphère qui régnait dans cet hôtel,