Page:Chesterton - La Clairvoyance du père Brown.djvu/73

Cette page a été validée par deux contributeurs.

raient conviés des hôtes de six pieds. S’il existait un restaurant chic qui, par un pur caprice de son propriétaire, n’ouvrît que le jeudi après midi, il ne désemplirait pas le jeudi après-midi. L’hôtel Vernon occupait, comme par accident, le coin d’un square de Belgravia. Il était petit et incommode. Mais cette incommodité même était considérée comme une digue protégeant une certaine classe de clients. Un de ces inconvénients avait, dans leur esprit, une importance vitale : il était impossible à plus de vingt-quatre personnes d’y dîner ensemble. La seule grande table dont il disposait était placée sur sa célèbre terrasse, abritée par une vérandah, et dominant l’un des vieux jardins les plus délicieux de la ville. Il était, par conséquent, impossible de s’y asseoir, sauf à l’époque des chaleurs, et cette nouvelle difficulté ajoutait un nouvel attrait à ces dîners. Le propriétaire actuel était un juif, du nom de Lever, et son hôtel lui avait rapporté près d’un million de livres, grâce aux obstacles dont il en avait encombré l’entrée. Tout en limitant le plus possible l’étendue de son activité, il s’efforçait naturellement de l’exercer avec la plus minutieuse perfection. Les vins et la cuisine pouvaient rivaliser avec ceux des meilleurs établissements d’Europe, et la tenue du personnel répondait exactement aux désirs de l’aristocratie anglaise. Le propriétaire connaissait intimement tous ses garçons ; il n’y en avait d’ailleurs que quinze, en tout. Il était beaucoup plus facile de devenir membre du Parlement que d’être élu domestique de cet