Page:Chesterton - La Clairvoyance du père Brown.djvu/72

Cette page a été validée par deux contributeurs.

chance ne lui fut jamais aussi propice qu’un certain jour, au Vernon Hôtel, où il put prévenir un crime et sauver une âme rien qu’en épiant un bruit de pas dans un corridor. Peut-être s’enorgueillit-il quelque peu de la merveilleuse et invraisemblable divination dont il fit preuve, à cette occasion, et il est possible qu’il vous explique comment. Mais, comme il est peu probable que vous vous éleviez jamais assez haut dans l’échelle sociale pour découvrir le club des « Douze Vrais Pêcheurs », ou que vous descendiez assez bas, parmi les ruelles peuplées de criminels, pour rencontrer le Père Brown, il est à craindre que vous n’entendiez jamais conter cette histoire, à moins que vous ne me permettiez de le faire à présent.

L’hôtel Vernon, où les « Douze Vrais Pêcheurs » célébraient leur dîner annuel, était une de ces institutions qui ne peuvent exister que dans une société oligarchique affolée d’élégance. C’était le produit paradoxal du commerce moderne — une entreprise « fermée ». Une entreprise devenue fructueuse, non pas en attirant le public, mais en l’écartant. Au sein d’une ploutocratie, les commerçants sont assez malins pour se montrer plus délicats que leurs clients eux-mêmes. Ils s’ingénient à créer des difficultés que leurs pratiques riches et blasées ne peuvent surmonter qu’à force d’argent et de diplomatie. S’il y avait à Londres un hôtel fashionable dont l’entrée fût interdite aux personnes de moins de six pieds, la bonne société organiserait docilement des dîners auxquels se-