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Le bouillant Simon se laissa tomber dans une chaise, près de la porte, et dit :

— La tête et les épaules étaient tailladés d’une manière bizarre, comme si on l’avait fait après la mort.

— Oui, dit le prêtre, immobile, on l’a fait afin de vous faire supposer exactement ce que vous avez supposé. On l’a fait pour vous faire croire que la tête appartenait au corps.

Le gaélique O’Brien se trouva transporté aux limites de l’intelligence, où s’engendrent tous les monstres. Il lui sembla voir autour de lui tous les hommes-chevaux, toutes les femmes-poissons qu’engendra l’imagination chaotique de l’homme. Une voix plus ancienne que celle de ses plus lointains ancêtres lui murmurait à l’oreille : « Garde-toi du jardin maudit où mourut l’homme à deux têtes. » Tandis que ces formes obscènes et symboliques se reflétaient dans l’ancien miroir de son âme irlandaise, sa raison francisée n’en restait pas moins alerte et n’en observait pas moins, comme les autres, le bizarre petit prêtre, avec une attention incrédule.

Le Père Brown s’était enfin retourné et se tenait le dos vers la fenêtre. Quoique son visage fût dans l’ombre, on pouvait voir qu’il était devenu pâle comme un linge. Il parlait avec le plus grand calme, comme si l’âme celtique et ses cauchemars n’eût pas existé pour lui.

— Messieurs, dit-il, ce n’est pas le corps de Becker que vous avez trouvé dans le jardin ; ce n’est pas le corps d’un étranger que vous avez trouvé dans le jardin. En dépit du rationalisme