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de soldat, tout ce carnage occulte lui répugnait. Où ces extravagantes amputations s’arrêteraient-elles ? D’abord, une tête coupée, puis une autre. Ce n’était pas le cas d’affirmer (se dit-il amèrement) que deux têtes valent mieux qu’une. En traversant le bureau, une brutale coïncidence le fit sursauter. Sur la table de travail de Valentin, se trouvait l’image d’une troisième tête saignante ; c’était la tête du détective lui-même. En y regardant de plus près, il s’aperçut que ce n’était que la première page d’un journal nationaliste, la Guillotine, qui publiait, chaque semaine, l’image d’un de ses adversaires politiques, les yeux révulsés et les traits contractés par les derniers spasmes de la vie, après son exécution ; et Valentin était un des piliers de l’anticléricalisme. En bon Irlandais, O’Brien conservait une certaine chasteté, même dans ses péchés ; sa gorge se souleva devant cet exemple de brutalité intellectuelle, qui n’appartient qu’à la France. Ce n’était pas le premier qu’il rencontrait dans Paris. Il avait vu les sculptures grotesques de ses églises gothiques et les grossières caricatures de ses journaux illustrés. Il se souvint des farces formidables inventées par la Révolution. La ville entière lui apparut comme la manifestation d’une horrible énergie, depuis le croquis sanglant jeté sur la table de Valentin jusqu’au sommet de la tour où, par-dessus une forêt de gargouilles, le grand diable de pierre ricane sur Notre-Dame.

La bibliothèque était une longue salle basse d’étage et mal éclairée. Le peu de lumière qui l’éclairait pénétrait par dessous les stores bais-