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en toute hâte dans la salle à manger, ayant Lady Galloway à son bras.

La bonne humeur de Galloway n’avait qu’un côté sensible. Pourvu que Lady Margaret ne prît pas le bras de l’aventurier O’Brien, son père ne manifesterait aucun mécontentement. Elle ne l’avait pas pris ; elle était sagement sortie du salon au bras du docteur Simon. L’inquiétude n’en rendit pas moins Lord Galloway presque grossier. Il parvint à se maîtriser, durant le dîner, mais lorsque, à l’heure des cigares, les trois plus jeunes hommes — Simon, le docteur, Brown, le prêtre, et O’Brien, le dangereux exilé portant un uniforme étranger — eurent quitté la table pour rejoindre les dames ou fumer dans le jardin d’hiver, le diplomate anglais perdit toute diplomatie. Il était tourmenté, à chaque instant, par l’idée que ce gredin d’O’Brien était parvenu, d’une manière ou d’une autre, à causer avec Margaret. Il ne tentait même pas de se figurer comment. Il restait seul, après le café, entre Brayne, le blanc Yankee, qui croyait à toutes les religions, et Valentin, le Français grisonnant, qui ne croyait à aucune. Ils pouvaient discuter ensemble, mais ne pouvaient faire appel à lui. Fatigué d’entendre leur logomachie « avancée », Lord Galloway se leva, à son tour, et se dirigea vers le salon. Il s’égara et, pendant six à huit minutes, arpenta vainement de longs corridors. Il entendit enfin la voix aiguë et didactique du docteur et la voix sourde du prêtre, puis un rire général. Eux aussi, se dit-il en étouffant un juron, devaient discuter « science et religion ».