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presse anglaise et américaine. Personne ne savait au juste si M. Brayne était athée, ou mormon, ou Christian scientist, mais il était toujours prêt à verser son argent dans n’importe quel vase intellectuel, pourvu que la forme en fût nouvelle. Une de ses lubies était de guetter l’arrivée d’un Shakespeare américain, et cette lubie réclamait plus de patience encore que la pêche à la ligne. Il admirait Walt Whitman, mais il trouvait Luke P. Tanner, de Paris U. S. A., plus « avancé » que Whitman lui-même. Il aimait tout ce qu’il croyait être « avancé ». Il estimait que Valentin l’était également, se montrant en cela parfaitement injuste à son égard.

L’apparition massive de Julius K. Brayne, dans le salon, fut aussi décisive que la cloche annonçant le dîner. Il avait cette qualité, à laquelle ne peuvent prétendre qu’un petit nombre d’entre nous, de rendre sa présence aussi importante que son absence. C’était un grand gaillard, aussi gras que grand. Son habit noir n’était pas même éclairé par le reflet d’une chaîne de montre ou d’une bague. Ses cheveux étaient blancs, vigoureusement brossés en arrière, à l’allemande ; son visage était rouge, à la fois violent et poupin ; il ne portait qu’une mouche noire sur sa lèvre inférieure, ce qui donnait à son expression puérile un caractère théâtral et presque méphistophélique. Les convives n’eurent d’ailleurs guère le temps de contempler le célèbre Américain ; son retard avait déjà pris les proportions d’un problème domestique, et il pénétra