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d’un tremble. Merton s’était souvent demandé si le fracas des trains, qui passaient sous ses fenêtres, n’avait pas contribué à la faner ainsi.

— Voyez-vous, dit le Père Brown, clignant modestement des yeux, je me demande parfois si une gaieté du genre de celle d’Amstrong est vraiment bien gaie — pour les autres. Vous dites que personne n’aurait pu tuer un si heureux vieillard. Je n’en suis pas certain : ne nos inducas in tentationem. Si jamais je tuais quelqu’un, ajouta-t-il simplement, je suppose que ce serait un optimiste.

— Pourquoi ? cria Merton, amusé. Croyez-vous que les hommes n’aiment pas la gaieté ?

— Ils aiment souvent à rire, mais je ne crois pas qu’ils aiment à sourire constamment. Une gaieté sans humour doit, à la longue, devenir insupportable.

Ils marchèrent, quelque temps, en silence, le long du talus herbeux, près de la voie ferrée. Lorsqu’ils parvinrent enfin dans l’ombre de la haute maison d’Armstrong, le Père Brown dit soudain, comme si, loin de présenter une nouvelle idée, il tentait plutôt de se débarrasser d’une pensée gênante :

— Il est bien vrai que l’alcool n’est, en soi-même, ni bon, ni mauvais. Mais je ne peux m’empêcher de croire parfois que des gens comme Amstrong auraient besoin, de temps à autre, de prendre un verre de vin, ne fût-ce que pour les attrister un peu.

Le supérieur de Merton, un vieux détective répondant au nom de Gilder, attendait le coroner