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prendre pour lui. Et, maintenant qu’il y songeait, cet intérieur avait toujours eu sur lui un effet déprimant. Les chambres étaient très hautes d’étage et très froides ; leur décoration avait quelque chose de mesquin et de provincial ; les corridors, où s’engouffrait le vent, étaient éclairés par des globes électriques plus pâles qu’un clair de lune. Et quoique la face empourprée du vieillard et sa barbe d’argent brillassent, comme un feu de joie, dans chaque recoin de l’habitation, elles ne laissaient aucune chaleur derrière elles. Sans doute, ce manque de bien-être fantomal était dû, en partie, à la vitalité même et à l’exubérance du maître qui, suivant ses propres paroles, n’avait besoin ni de poêles ni de lampes, mais portait sa chaleur en lui. Mais, lorsque Merton évoquait l’image des autres habitants de la maison, il était obligé d’admettre qu’eux aussi contrastaient violemment avec le chef de famille. Le morne domestique, avec ses monstrueux gants noirs, était une vision de cauchemar. Royce, le secrétaire, était un fort gaillard, au cou de taureau, vêtu de gris, avec une courte barbe ; mais sa barbe blonde était parsemée de poils du même gris que son veston, et son large front était rayé de rides précoces. Il était jovial, mais c’était une triste, presque une douloureuse jovialité — il avait vaguement l’air d’avoir gâché sa vie. Quant à la fille d’Armstrong, il était presque incroyable que ce fût sa fille, tant elle était pâle et d’aspect sensitif. Elle était gracieuse, mais toute sa personne semblait frémir au moindre souffle, comme le feuillage