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ce qui devait en résulter. Il vit qu’on retrouverait le cadavre suspect, qu’on en extrairait la pointe d’épée accusatrice, que l’on songerait à l’épée brisée — ou plutôt à l’absence mystérieuse de cette épée. Il avait tué son ennemi, mais il ne l’avait pas réduit au silence. Son esprit impérieux s’insurgea contre une telle menace. Il lui restait une suprême ressource. Il pouvait dissimuler le cadavre. Il pouvait le cacher sous une montagne d’autres cadavres. Vingt minutes après, huit cents soldats anglais marchaient à la mort.

La lueur qui brillait, derrière le sombre bois d’hiver, se fit plus riche et plus chaude, et Flambeau pressa le pas pour l’atteindre. Le Père Brown aussi se hâta, mais il semblait entièrement absorbé par son récit.

— L’intrépidité de cette petite troupe et le génie de son chef étaient tels que, si elle s’était jetée immédiatement à l’assaut de la colline, sa folle attaque aurait pu, malgré tout, réussir. Mais le mauvais esprit, qui jouait avec ces mille hommes, comme avec des pions, en avait décidé autrement. Ils durent rester dans le marais, près du pont, assez longtemps pour que la vue d’un cadavre anglais n’attirât plus l’attention dans ces parages. Alors devait se jouer la grande scène finale ; le guerrier sacré, aux cheveux d’argent, rendrait son épée au vainqueur pour épargner la vie de ses hommes. Oh ! c’était bien organisé, pour une improvisation. Mais je crois (je ne suis pas certain) que, tandis qu’ils restaient collés, là, dans la boue sanglante, quelqu’un douta, quelqu’un devina.