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gris. La plupart des tombes étaient sur la pente, et le sentier qui conduisait à l’église était aussi escarpé qu’un escalier. Au sommet de la colline, au seul endroit où le cimetière était nivelé, se dressait le monument qui l’avait rendu célèbre. Il contrastait singulièrement avec les humbles tombes qui l’entouraient. C’était l’œuvre de l’un des plus grands sculpteurs de l’Europe, dont la réputation était pourtant éclipsée par celle de l’homme à la mémoire duquel il avait dressé cette statue. On distinguait, à la lumière des étoiles qui caressait le bronze de ses légers pinceaux argentés, l’image massive d’un soldat couché. Ses fortes mains étaient jointes dans une prière éternelle, et sa lourde tête reposait sur un fusil. Son visage vénérable était encadré par une barbe — ou plutôt par des favoris, suivant l’ancienne mode mise en honneur par le colonel Newcome[1]. L’uniforme, suggéré par quelques traits essentiels, était celui d’un soldat moderne. À sa droite gisait une épée, dont la pointe était brisée ; à sa gauche, gisait une Bible. Durant les brûlants après-midi d’été, une foule d’Américains et de provinciaux lettrés venaient, en chars à bancs, admirer ce sépulcre. Même à cette époque de l’année, cette église et ce cimetière, isolés au centre de cette vaste forêt, avaient un aspect silencieux et désolé. Au milieu de cette gelée nocturne, en plein hiver, le tombeau ne semblait avoir d’autre compagnie que celle des étoiles. Pourtant, dans le silence des

  1. Voir Thackeray, The Newcome.