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si peu du mirage de cette vie que je vous offrirai de dresser mon propre réquisitoire. Il n’y a qu’un fait que l’on puisse invoquer contre moi dans cette affaire, et je l’invoquerai moi-même. La femme qui vient de mourir était mon amie et ma fiancée, non pas selon les rites que vos petites chapelles appellent légitimes, mais selon une loi plus pure et plus sévère que vous ne comprendrez jamais. Elle et moi vivions dans un monde différent du vôtre ; nous foulions du pied des palais de cristal, tandis que vous rampiez à travers des couloirs et des tunnels de briques. Je sais bien que les policiers, théologiens ou laïcs, s’imaginent toujours que là où l’amour a passé, la haine doit être proche ; voilà le premier argument de votre acte d’accusation. Mais le deuxième argument a plus de valeur encore ; je vous le livre pour ce qu’il vaut. Non seulement il est vrai que Pauline m’aimait, mais il est encore vrai que, ce matin même, quelques instants avant sa mort, elle écrivit, à cette table, un testament par lequel elle me léguait, comme représentant de ma nouvelle Église, une somme de dix millions. Voyons, où sont les menottes ? Croyez-vous que je m’inquiète de ce que vous ferez de moi ? Si l’on me met en prison, ce sera comme si je l’attendais dans une gare par où elle doit passer. Si l’on me suspend au gibet, ce sera comme si j’allais vers elle dans un chariot.

Il parlait avec l’autorité troublante d’un orateur. Flambeau et Joan Stacey le contemplaient avec stupeur et admiration. Le visage du Père