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agréable. Les dames de l’étage inférieur n’étaient d’ailleurs pas banales. Le bureau était tenu par deux sœurs, toutes deux brunes et minces. L’une d’elles était de haute taille et avait une physionomie frappante. Elle avait un profil ardent et aquilin ; c’était une de ces femmes dont on ne peut évoquer l’image que de profil, comme celle d’une arme au tranchant acéré. Elle semblait fendre son chemin à travers la vie. Ses yeux avaient un éclat extraordinaire, mais c’était plutôt l’éclat de l’acier que celui du diamant. Sa taille droite et élancée était un peu trop raide pour paraître gracieuse. Sa jeune sœur semblait son ombre rapetissée ; elle était plus vague, plus pâle, plus insignifiante. Toutes deux étaient sévèrement vêtues de noir et portaient des manchettes et des petits cols masculins. Il y a des milliers de dames de ce genre, aussi laconiques et aussi affairées, dans les bureaux de Londres, mais l’intérêt que présentaient celles-ci gisait plus dans leur situation réelle que dans leur situation apparente.

Pauline Stacey, l’aînée des deux sœurs, était, en effet, l’héritière d’un titre de noblesse, d’énormes propriétés et d’une grande fortune. Elle avait passé sa jeunesse à l’ombre des châteaux et des parcs, avant que l’ardeur glaciale de son tempérament, si caractéristique de la femme moderne, ne l’eût contrainte d’adopter un mode d’existence qu’elle considérait comme plus dur et plus noble. Elle n’avait pas, notez bien, abandonné sa fortune ; une abdication aussi romantique, aussi monastique, eût été en con-