Page:Chesterton - La Clairvoyance du père Brown.djvu/271

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Je ne vous comprends pas bien, murmura Bohun confusément.

— Regardez ce forgeron, par exemple, continua le Père Brown avec calme, c’est un brave homme, mais ce n’est pas un chrétien. Il est dur, impérieux, implacable. Eh bien, sa religion écossaise a été fondée par des hommes qui priaient au sommet des montagnes et au bord des précipices, et qui apprirent plus à mépriser la terre qu’à priser le ciel. L’humilité est la mère des géants. On voit de grandes choses de la vallée ; on n’en voit que de petites des sommets.

— Mais il… il ne l’a pas fait, dit Bohun en tremblant.

— Non, dit l’autre d’une voix bizarre, nous savons bien qu’il ne l’a pas fait.

Un instant après, il reprit, laissant errer sur la plaine ses yeux calmes et gris :

— J’ai connu un homme, dit-il, qui commença par prier avec les autres, devant l’autel, mais qui préféra bientôt s’isoler dans des endroits élevés, tels que les recoins ou les niches de la tour de son église. Se trouvant un jour dans une de ces vertigineuses retraites, où le monde entier semblait tourner autour de lui comme une roue, la tête lui tourna aussi, et il se crut Dieu. C’est ainsi que ce brave homme commit un grand crime.

Wilfred avait détourné la tête, mais ses mains osseuses serrant le parapet de pierre, devinrent blanches et bleues.

— Il crut qu’il lui appartenait de juger le monde